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LA MISÈRE

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Quelles sont vos intentions ? J’étais sans état ; il est probable que mon père ne me recevra pas, je n’a donc aucune idée nette. Pourquoi votre père ne vous recevrait-il pas ? J’ai été autrefois un peu brutal avec ma mère, cela pourrait effrayer la grand’-mère. En effet, on vous a condamné comme parricide ! Jean-Étienne inclina la tête. Vous reviendrez, nous aviserons. « N° 30, 511, quelles sont vos ressources ? » Au mot ressources Grenuche eut un sourire. J’ai été vagabond toute ma vie, dit-il, et ce n’est pas le mot forçat libéré inscrit sur mon passeport qui m’aidera à trouver du travail. Savez-vous pour quelle cause on vous a gracié ? On m’a dit que c’est l’officier que j’ai repêché qui m’a valu ça. — Revenez me trouver demain dans l’après-midi… avec votre camarade, il est inutile de me déranger deux fois. Brodard écoutait. N° 8, 613, quel est votre état ? Il allait dire tanneur ; la pensée lui vint que Lesorne était colporteur. Il répondit donc qu’il désirait reprendre son état de colporteur. M. X… eut un sourire de crocodile. Essayez, dit-il, mais vous feriez mieux de revenir avec les autres ; je vous placerais dans la police des mœurs ! Brodard eut un mouvement d’horreur qui n’échappa pas à M. X… Il reprit et regarda plus attentivement les dossiers que lui avait remis le gendarme introducteur et qui venaient directement du bagne. Ces dossiers étaient ainsi conçus : « N° 30, 511.-Félix, dit Grenuche, enfant trouvé : deux condamnations à temps pour vagabondage ; une troisième à perpétuité pour vol avec violence, coups et blessures. Gracié sur les instances du colonel C… Très robuste et stupide, peut être employé sans danger aux arrestations ou autres choses de ce genre. « < N° 26, 682. Jean-Étienne, né à Saint-Nazaire, le 11 juillet 1840. Condamné à mort comme parricide, puis commué ; fin, rusé, dangereux s’il n’est employé avec intelligence (bon à tout faire s’il est bien dirigé). N° 3, 613. Mathieu, dit Lesorne, né à Marseille, le 28 avril 1826, colporteur, condamné pour participation aux crimes de la bande Saboulard. Travaux forcés à perpétuité ; gracié pour services particuliers rendus à l’administration (en peut rendre encore) (ligne soulignée). » M. X… n’y comprenait rien. Ce gaillard-là, pensait-il, veut se faire payer. Une fois hors de la préfecture, Brodard espérait être débarrassé de ses com. pagnons. Mais ceux-ci en avaient décidé autrement.