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LA MISÈRE

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près de toi Tu es la beauté moderne, vive Dieu ! la beauté moderne ! la beauté qui pense, non la froide statue. « Décidément c’est un insensé, » pensa Angèle, et elle commença à monter. Ce mouvement ascensionnel décida Jehan Troussebane à parler clairement. — Madame, dit le peintre, j’ai mon atelier à deux pas d’ici, si vous voulez y venir poser pour la tête et le buste, aussi chastement drapée que sí vous étiez ma sœur, venez-y avec votre enfant. Je vous payerai Oh ! que n’ai-je la caisse de M. Ingre ! Je vous payerai un franc de l’heure. 1 — Quand faudra-t-il venir, demanda Angèle éblouie. Un franc de l’heure pour une femme ! on n’avait pas l’idée de ces choses, au quartier Saint-Marcel. Attendez, nous sommes ? quel jour sommes-nous donc ? Mercredi. Ah diable La paye est samedi, il faudra attendre jusqu’à dimanche matin. Il donna son adresse qu’il écrivit au crayon. Rue Saint-Joseph 35, au 7me, une porte facile à reconnaître. Il y avait dessus une sanguine représentant l’enfer du Dante. Angèle répondit qu’elle ne manquerait pas. Le peintre embrassa la petite et vint sonner chez Me Régine. Pour y entrer, Angèle attendait que Jehan Troussebane fût sorti et elle se rassit sur l’escalier. Une ouvrière monta et derrière elle un monsieur. Ils se saluèrent, comme des gens de connaissance, et s’arrêtèrent à causer un instant devant la porte de Me Régine. Ils aperçurent Angèle. Que faites-vous là ? lui demanda l’ouvrière étonnée de voir quelqu’un à cette place. Je suis venue, répondit Angèle, toute troublée par cette simple question, je suis venue pour l’affiche. Quelle affiche ? Celle où l’on demande des ouvrières. Ah ! Est-ce que vous seriez de lá partie ? Je sais très-bien coudre et peut-être si c’est pas bien difficile… La jeune fille qui parlait à Angèle l’enveloppa d’un regard plein de tristesse. Mais, ma pauvre femme, dit-elle, on ne vous acceptera pas faite comme vous êtes et avec un enfant encore. Vous croyez ? Mais bien sûr. Surtout ici. M Régine ne vous recevra pas. Il faut de la toilette. C’est bête comme tout, mais que voulez-vous ! c’est comme ça. Alors, il faut que j’aille ailleurs. — Ce sera la même chose. Partout il faut de la tenue. Mais pour avoir du travail chez soi ? C’est encore pis. Si vous êtes mal habillée, on n’aura pas confiance en vous. Il y en a qui ne reviennent plus avec l’ouvrage qu’on leur donne : il y a tant de misère, vous comprenez. Voulez-vous suivre mon conseil ? Ah oui oui ! dites-moi, que faut-il que je fasse ? Vous voyez, j’ai un enfant