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LA MISÈRE

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Ces conditions étaient bien simples : Il fallait payer six sous par jour et produire d’abord le bulletin de naissance et le certificat de vaccine de Liza. Les six sous, Angèle les avait l’acte ; de naissance, elle ignorait si on en avait dressé un. Pour ce qui était de la vaccine, on pouvait en voir les marques sur les petits bras ronds de sa Lizette. C’est votre petite sœur ? demanda la religieuse à Angèle. · C’est ma fille, répondit la petite Brodard en rougissant. Jésus-Marie Êtes-vous mariée ? Non ! — Mais alors, malheureuse, à quel âge vous êtes-vous perdue ? A quel âge avez-vous écouté les suggestions du diable ? chain. Ce n’est pas le diable, c’est un homme DÉVOT qui m’a perdue. Malheureuse que dites-vous ? Un dévot ? Ne calomniez pas votre proJe ne calomnie personne. Je dis ce qui est, rien de plus. — Mais qui accusez-vous ? — Je n’accuse personne, vous dis-je. Si je ne suis pas honnête aux yeux du monde, ça ne fait rien, j’ai ma conscience pour moi. La religieuse n’avait pas l’air bien convaincue de l’innocence d’Angèle. Elle parla du bon Dieu et de la Sainte Vierge, du repentir qui rachète le péché. Enfin elle parut s’apaiser. Puis elle écouta froidement, mais enfin, elle écouta la jeune mère, et lui donna même quelques indications pour se procurer les pièces qui lui manquaient. L’acte devait être à la mairie de Montmartre. Il y était en effet. Les journaux avaient parlé d’une naissance devant l’Élysée. Ils avaient intitulé ce fait divers Un enfant de la rue. La religieuse savait cette chose scandaleuse. Angèle alla à la mairie où elle n’attendit pas plus d’une heure, où on l’appela fille Brodard, pour lui remettre le bulletin de naissance de son enfant. Munie de ce bulletin Angèle retourna à la crèche. Malheureusement, elle n’avait pas trouvé la sage-femme qui devait, sur la recommandation de la bonne sœur, délivrer le certificat de vaccine. Enfin on passa sur cette formalité, les religieuses n’ayant pas le scrupule exagéré, quand il s’agit des règlements municipaux. La jeune mère paya six sous et cette fois Lizette était admise. Nous la mettrons tout au bout, dit la religieuse. Une enfant née comme ça ne doit pas être avec les autres. Angèle eut un frémissement d’indignation. L’idée lui vint de remporter l’innocente. Mais comment la nourrir sans travail ? Pour avoir ce travail, pour le chercher, il ne fallait pas un enfant sur les bras ! Était-ce pas une chose à l’envers ? « Quoi ! » se disait Angèle, il faut donc avoir l’air de ne manquer de rien pour obtenir quelque chose. » Les yeux noyés de larmes, elle sortit de la crèche. La religieuse emporta Lize du bout des doigts, comme si elle eût craint d’être souillée par le contact de cet être charmant. Elle le déposa dans un berceau