Page:Michel - La misère.pdf/531

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
531
LA MISÈRE

531 et pointu. Ses yeux un peu ronds mais dépourvus de la douceur magnétique de ceux des oiseaux de nuit, étaient très rapprochés ; quelques cheveux d’un blond incertain, soulevés et fins comme des plumes, encadraient le visage. Ce délicat vautour était toujours prêt à fondre sur une victime. Helmina, ayant adressé quelques paroles aux jeunes filles, un peu moins somnolentes que d’ordinaire, retourna au salon où l’attendait de Méria. Ils n’y furent pas longtemps seuls ; la visite qui, en ce moment, pouvait le plus effrayer Helmina, celle du médecin aliéniste, vint terroriser les deux complices. Ma visite vous étonnera peut-être, madame, dit le médecin, mais, vu le grand intérêt que vous portez à Claire Marcel, je vous trouverai disposée à m’aider. Helmina s’essuya le visage où coulait une sueur froide. -N — Que faut-il faire ? dit-elle. D’abord retrouver l’enfant. On suit, permettez-moi de vous le dire, une cause déplorable ; l’oncle qui l’a élevée peut seul dire quels sont ses habitudes, ses aspirations, son caractère ; de là, une foule d’indices qui aideraient à la retrouver plus je réfléchis aux paroles échappées à son délire, plus je suis convaincu qu’elle a été victime de quelque attentat. << Au lieu de tout cacher à l’oncle, il faut tout lui dire. Tenez, cette histoire me préoccupe, il faut qu’à nous deux, en prévenant ce vieillard nous retrouvions la jeune fille. » Helmina se voyait déjà convaincue de ses crimes ; l’aliéniste ne songeait pas à la soupçonner, mais, pour la seconde fois, regardant bien cette tête petite comme celle du reptile, ces yeux où se lisait l’effarement, il se demandait s’il n’était point la proie de quelque horrible idée fixe ; il continua néanmoins : Non seulement, madame, je suis à votre disposition pour tout ce qui sera en mon pouvoir au sujet de Claire Marcel, mais je me permettrai de vous adresser quelques questions qui pourront nous guider. Mm de Saint-Stéphane voulut répondre, la voix s’arrêta dans sa gorge. Le médecin, alors, aperçut de Méria qu’il n’avait pas vu tout d’abord ils se saluèrent. Chose inouïe, de Méria avait le masque du satyre comme Helmina celui de la bacchante. Est-ce que les faits se mettaient en travers de ses observations ? Avait-il affaire à des exceptions, ou la science mentait-elle ? La pensée de la petite Claire perdue dans Paris, exposée à mille périls, sous, l’impression d’une terreur qui, selon lui, devait avoir une autre cause que des lectures, se dressait jour et nuit devant le vieillard. — Quelle impression vous a produite en arrivant cette jeune fille ? Paraissaitelle calme, ou avez-vous remarqué en elle quelque tristesse ? Helmina se laissait interroger. --Elle m’a paru calme, dit-elle. Puis, voyant qu’elle allait se perdre, elle ajouta vivement