Page:Michel - La misère.pdf/702

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
702
LA MISÈRE

702

que Sansblair sera condamné par contumace à la peine de mort, et toi, tu te verras bel et bien condamner aux travaux forcés à perpétuité. Cela ne sera pas, dit Auguste ; je veux aller à la recherche de mes sœurs et de mon père. Ton père ! mais il parlait de toi ce matin à l’un des messieurs de l’administration. Je l’ai entendu qui disait : Mon pauvre Auguste il n’aura pas pu oublier que ce Rousserand a perdu sa sœur. Auguste eut un mouvement de colère. Il faut que je sorte d’ici ! dit-il. De Mazas ! Y songes-tu ? Oui, de Mazas ; je sais bien que ça ne s’est jamais vu, mais c’est égal. Nous y penserons, dit le Villon. Ils ne se dirent plus rien pendant une quinzaine de jours. Le rôle du procès était fixé. Tu ne sais pas, dit un soir le Villon à Auguste ; j’ai ton affaire. Comment. Tu sais, je n’ai l’air de rien, mais j’ai tout de même mes idées, histoire d’être artiste. Je ménage des effets superbes quelquefois. Qu’est-ce que c’est ?

Voilà il y a une bande de gosselins qui se sont montés le coup que c’est toi qui as refroidi le Rousserand à cause de ta frangine. Ils veulent te délivrer. Comment comptent-ils faire ? Quand on te transfèrera ils attaqueront la voiture cellulaire, parbleu ! Quel bel effet de nuit ! car c’est d’ordinaire la nuit ou au petit jour qu’on promène les prisonniers de ton importance. Auguste ne dormit pas cette nuit-là. Il avait bien de la peine à rassembler ses idées, à les calmer ; il lui semblait qu’il devenait fou. Le transfèrement eut en effet lieu de nuit la ville entière paraissait dormir. Mais, gardée comme devait l’être la voiture, il semblait impossible à Auguste que quelques pauvres malheureux jeunes gens parvinssent à le délivrer. On allait du reste aboutir à des voies moins désertes, il n’y avait pas d’espérance. Non loin de la gare de Lyon est un endroit sombre même de jour ; on dirait une suite de hangars. La voiture traversait cet endroit, dernière chance possible du voyage, quand soudain les chevaux s’arrêtèrent. Auguste entendit deux ou trois appels ; puis plus rien. Alors on ouvrit son compartiment, et il vit, à son profond étonnement, que douze à quinze jeunes gens dont deux ou trois étaient armés, s’étaient rendus maîtres de la voiture dont ils avaient surpris et bâillonné les conducteurs ; ils leur avaient arraché les clefs, pour ouvrir à Auguste, et étaient présentement en train d’enfermer les trois agents dans les cellules. L’un de ces agents, celui qui se démenait le plus, mais qui au fond était le vrai meneur de l’affaire : le Villon de Clairvaux, passa une nuit délicieuse, dans le véhicule où les deux autres rageaient de si bon cœur. On ne pouvait se rendre compte, du retard apporté par ceux qui amenaient