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LA MISÈRE

703 l’accusé ; mais ce ne fut que vers huit heures du matin, que la voiture cellulaire, remisée par les jeunes gens sous les hangars dont nous avons parlé, fut découverte, et qu’on en tira les agents, deux au comble de la fureur, un, le Villon, qui avait ri toute la nuit à se fendre la bouche. Il eût été plus simple, pour le dénonciateur anonyme, d’avertir d’avance le préfet de police de l’évasion projetée, que d’attendre au lendemain. Mais Lesorne avait des projets plus noirs encore. Pour lui, le jeune homme ne pouvait être complètement perdu qu’en le déshonorant ; sa troisième lettre était ainsi conçue : << Monsieur le Préfet de police, « Les principaux de la bande dirigée par Auguste Brodard ont résolu d’attaquer la voiture, cellulaire dans laquelle ce bandit doit être transféré. « Ils le conduiront chez une nommée veuve Grégoire, marchande de mouron, où demeure la fille Clara Busoni, sa maîtresse. Ces deux femmes, de très mauvaise vie, sont affiliées à la bande, ainsi que deux peintres nommés Jehan Troussebane et Lapersonne, et un nègre qui est leur associé. Vous trouverez les chefs de la bande réunis chez la marchande de mouron si le projet d’évasion réussit. Un des agents, le nommé Sol, dit le Villon, est complice. Quant au père Brodard, quoique ce soit un honnête homme, vous ferez bien de le faire surveiller à cause de sa tendresse pour son fils. >> Ceci était une couleur ajoutée à son tableau pour le rendre plus nature et éloigner de lui les soupçons. Les libérateurs d’Auguste n’avaient pas manqué, depuis la soirée de la brasserie, de communiquer leur projet au père d’Auguste Brodard. C’était donc Lesorne lui-même qui avait donné les adresses de Mme Grégoire et des peintres. Il connaissait la complicité du Villon par les confidences de Chiffard et des autres. Une fois, Jean-Étienne avait surpris Lesorne, en conversation avec un des gavroches. On est père ou on ne l’est pas, avait dit Lesorne d’un ton de mélodrame. Jean-Étienne l’exhortait à oublier des liens de famille, qui, dans leur position, sont un luxe inutile. revelad Est-ce que tu vas t’exclafer comme ça, devant tous les gosselins en débine, sous prétexte qu’ils ressemblent à ton Auguste ? Lesorne, s’étant arrangé de manière à ce que le préfet de police eût la lettre trop tard pour empêcher le coup, attendait dans sa chambre de la rue SainteMarguerite, le résultat de son infâme machination. Je suis malade, dit-il à Jean-Étienne en s’étendant dans son lit. C’est le mauvais sang que tu te fais avec ton Auguste, vieux pante, dit Jean-Étienne.