Page:Michel - La misère.pdf/75

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
75
LA MISÈRE

75 75 disait la petite. Comme elle aurait voulu la ramener à une autre vie, tout nettoyer, faire de l’ordre autour d’elle ! Instinctivement elle sentait que l’ordre matériel tient à l’ordre moral et en est comme l’étiquette. Si Olympe voulait, on travaillerait à deux ; on s’en irait demeurer dans un autre quartier. M Brodard s’occuperait du ménage : Auguste et le père… Hélas ! hélas ! quelle folie de rêver de telles choses. Auguste et le père ! Où étaient-ils tous deux ? Ça portait malheur de faire des châteaux en Espagne. Olympe tardait bien à venir. Angèle était brisée et complètement épuisée. Cependant, elle n’osait pas se laisser aller au sommeil et faisait de pénibles efforts pour se tenir éveillée. Ses paupières alourdies se fermaient, elle était envahie par une sorte d’engourdissement. Tout à coup, la jeune fille fut tirée de sa torpeur par des éclats de rire et un bruit de pas dans l’escalier. Elle reconnut la voix d’Amélie. Cette vilaine fille venait avec Nicolas. Que c’était désagréable ! Angèle, dans son trouble, au milieu de tous les bouleversements qui la secouaient, avait complètement oublié la visite dont l’odieux couple l’avait menacée. Décidément, elle les détestait ces deux vilaines bêtes ; et voilà, elle était pourtant obligée de les recevoir, car ils frappaient à coups redoublés criant qu’ils allaient enfoncer la porte. Heureusement, se disait Angèle en se dirigeant vers la porte, Olympe va venir. Elle était horriblement contrariée. Ils entrèrent, le verbe haut, éclatant de rire. Deux individus les suivaient ; l’un était un ami, un bon zig, très convenable, un camarade de M. Nicolas qu’on présentait à la petite. Elle ne devait pas avoir plus peur de lui que de son propre père. Il venait là, histoire de rigoler un brin. Il s’en retournerait après le souper. C’était un employé de nuit. Amélie donnait sa parole d’honneur qu’Angèle pouvait se fier à lui. Angèle était terrifiée. Plus Amélie lui en disait pour la rassurer, plus elle avait peur. L’autre arrivant était un garçon chargé de bouteilles et de victuailles, pour lesquelles on ne trouvait pas une place. Amélie trancha la difficulté en renversant tout ce qui était sur la table et en le poussant dans un coin. Alors, fut question de dresser le couvert. Mais, comme toute la vaiselle d’Olympe était sale, Amélie descendit chez le marchand de vin pour faire monter ce qui était nécessaire. Dame ! c’est qu’on était dans l’intention de faire ripaille. Angèle eut beau dire qu’elle était malade, qu’elle n’avait pas faim ; qu’elle désirait se coucher aussitôt qu’Olympe allait venir. On ne l’écoutait pas. Ha’bien, si Olympe venait, n’y aurait plus personne de triste : la fête serait complète, car il n’y en avait pas une comme cette grande rigoleuse pour faire 麵 crever de rire, avec ses histoires de croque-morts. Il fallait l’attendre, cette grande bique, et l’on allait se faire du bon sang. Justement, elle arrivait comme marée en carême, quand tout était prêt pour