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LA MISÈRE

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la recevoir. Mais elle n’était pas de bonne humeur, Mlle Olympe. La vue des assiettes de charcuterie, des bouteilles et de tout le tremblement qui garnissaient la table, bien loin de lui faire plaisir, parurent singulièrement l’irriter. Est-ce qu’on avait besoin de boustifailler à cette heure ? Qu’est-ce que toute cette clique venait faire chez elle ? Elle priait la compagnie de décaniller et plus vite que ça. Qu’est-ce que c’était que cet ostrogoth que personne n’avait jamais vu et qui se permettait d’entrer chez elle comme dans une halle, de se vautrer comme un veau sur ses meubles ? M. Nicolas et Me Amélie avait beau répondre de l’intrus, dire qu’ils le connaissaient, que c’était un ami, qu’elle avait tort de s’emporter et qu’en le conduisant chez elle, ils n’avaient eu aucune mauvaise intention. Olympe ne voulait rien entendre. Elle savait bien pourquoi on l’avait amené. Pour qui la prenait-on ? Eh bien, il ne manquait plus que ça, à la fin de tout. Elle était furieuse et ne mâchait pas les termes, non, elle les crachait énormes à la face de ceux qu’elle considérait comme des complices, pour perdre Angèle, pour la pousser dans la boue où elle ne voulait pas tomber, la pauvrette. Le seul contact de Mme Brodard, sa confiance avaient réveillé dans la fille perdue tous les bons sentiments qui dormaient au fond de son âme et qu’elle croyait morts. Elle n’y comprenait rien elle-même, mais le fait était ça : elle rapportait, de chez l’honnête et malheureuse ouvrière, elle ne savait quelles forces nouvelles qui la poussaient à dire tout ce qu’elle disait pour protéger et défendre sa petite amie. Ses idées étaient toutes changées… Les autres n’en revenaient pas et n’y comprenaient rien. Mais elle s’en fichait. Mrs Brodard une véritable amie, celle-là, une honnête femme avait eu confiance en elle et l’avait priée de veiller sur sa fille. Est-ce que M. Nicolas ne comprenait pas ce que ça voulait dire ? Est-ce qu’il se fichait du monde d’amener chez elle des gens à figure de mouchard ? Oui, appuyait-elle, de mouchard, car elle voyait bien à sa mine que cette pratique-là était une roussaille. Amélie, qui avait la langue bien pendue, voulut protester, Olympe d’une gifle, bien appliquée sur le museau, l’envoya rouler sur le plancher. Chignon véreux ! exclama la villageoise en se relevant, et, s’élançant sur son ancienne camarade, elle fit pleuvoir sur elle une grêle de coups de poing. Angèle voyant son amie prête à succomber se porta à son aide. Les hommes prirent fait et cause pour Amélie. Alors ce fut une mêlée épouvantable. Les assiettes, les verres, les bouteilles volaient en éclats. Les hommes hurlaient, les femmes glapissaient, l’enfant criait. C’était un tintamarre comme on n’en avait jamais entendu. Cela descendait jusqu’à la loge. La vieille portière jurait que la grande bourrique d’Olympe aurait un congé en règle pas, plus tard que le lendemain. Pendant que les femmes se tenaient aux cheveux et qu’Angèle tapait de confiance sur l’intrus, M. Nicolas, qui voulait sans doute égaliser les chances de la victoire, M. Nicolas abandonna la lutte, se pencha vers la fenêtre et donna