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LA MISÈRE

851 Il ne fut pas longtemps dans ses deux expéditions, maître Lesorne ; quelle que fût sa diligence, il n’en trouva pas moins Rosa debout devant un meuble dont elle cherchait inutilement les clefs. A la vue de Lesorne porteur d’un véritable sac d’or, car les deux idiots s’étaient saignés à blanc pour faire cette avance à la comtesse, Rosa battit des mains. Je vais, dit-elle, remporter demain des costumes à la dernière mode pour nous trois, je suis venue sans bagages tout exprès. Vous m’aiderez à faire transporter les caisses au chemin de fer, n’est-ce pas, monsieur Brodard ? Sans doute, mademoiselle, trop heureux de vous être utile. Vous êtes bien aimable. Ces lieux communs, dits en souriant devenaient aimables dans la bouche rieuse et demi-moqueuse de Rosa. Lesorne la regardait charmé, mais sans changer son projet. Quand il faut couper une branche au rosier, le jardinier met aussi bien le sécateur à la fleur épanouie qu’à la fleur séchée. Mais à propos, monsieur Brodard, dit-elle avec son même sourire. Où donc avez-vous mis les clefs de ce meuble, il faut que j’emporte quelques parures. Je vais vous les chercher, dit Lesorne, buvons auparavant quelques gouttes de ce vin vieux, cela vous fera du bien. Ils trinquèrent joyeusement. Vous êtes un fameux intendant, dit Rosa en regardant le sac d’or. — Hein ! rêpondit le bandit, c’est ce qui s’appelle administrer. Je ne vous croyais vraiment pas si habile, mais donnez donc cette clef. Lesorne, ayant fouillé du regard tous les coins de la chambre, parut satisfait de son examen. Par un de ces hasards monstrueux comme il s’en rencontre, un bâton à tête énorme, tel que Lesorne les aimait, se trouvait à l’un des angles de la pièce, il s’était sans doute promené dans le pays appuyé sur ce gourdin avec un air bonhomme. Il avait, par précaution, conservé ce bâton et savait la manière de s’en servir. Il tendit à Rosa un mignon trousseau de clefs destinées à ouvrir la multitude de tiroirs du meuble contenant les parures. Toujours souriante, elle en ouvrit un ; il était vide. Rosa passa à un second, vide de même. Étonnée, elle commençait à vérifier l’un après l’autre tous les tiroirs. Elle n’en eut pas le temps, Lesorne d’un coup de bâton, avait brisé la jolie tête chargée de cheveux blonds. Rosa tomba foudroyée, pas un cri, pas un mouvement. Alors le bandit craignant un retour de la vie, se jeta sur le cadavre et au moyen d’une corde il l’étrangla. Toutes les portes étaient fermées, personne n’avait vu entrer Rosa que l’abbé et la vieille dévote, et il n’était pas en peine pour leur faire une histoire. Mais il s’agissait d’emporter le cadavre avant le jour.