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LA MISÈRE

899 Sansblair emportait l’enfant dans ses bras avec une tendresse qu’il ne se fût point soupçonné ; il le coucha, essaya de le faire revenir à lui, mais les soins paraissaient inutiles. Le médecin fut plus heureux : il rappela l’enfant à la vie, mais pour le voir en proie à des convulsions qui, produites par la chute ou par la douleur, ne le tuèrent pas moins. Vers le huitième ou neuvième jour, il mourut répétant encore : · Maman ! maman ! Pendant ce temps, la police du Saint-Père, dont faisait partie le prince Mathias, cherchait activement Claude Plumet, qui au désespoir après la mort de l’enfant, étant parti pour l’Australie. Il avait, en partant, envoyé sous pli cacheté à Me Marcel le fameux papier. « Donné pour faire disparaître Gabriel, dit Sansblair, cinquante mille francs.’<< DE MÉRIA. » — Si ceci est véritable, dit la hideuse femme en tressaillant de joie, il ne s’agit que de bien mener sa barque. Mais comment faire pour ne pas sombrer dans ces écueils. Quel dédale ! Elle fut interrompue par l’entrée d’un homme de pieuse allure, qui la convoqua avec sa fille à une réunion de personnes pieuses, assemblées dans une des rues les plus belles de Londres, Regent-Street. Les noms étaient recommandables, la rue était sûre, l’heure relativement peu avancée. Pourtant, Me Marcel et sa fille, après avoir formellement promis de se rendre à l’invitation, partaient en secret pour Douvres, d’où elles devaient s’embarquer pour la Belgique. La souricière de la réunion était trop grossière pour d’aussi fin gibier. Le prince et la princesse Mathias s’en aperçurent trop tard. La vieille comtesse Phégir et le jeune président remarquèrent, sans étonnement, qu’une sorte de désarroi régnait chez les illustres personnages : il y avait longtemps que la vieille sorcière et le jeune serpent flairaient un scandale. Les dames Rousserand suivaient avec un intérêt puissant les articles du journal le Niveau, à propos de la maison de convalescence. Mais nulle part les feuilles mal pensantes ne causaient une plus profonde impression qu’au bagne de Toulon passées en fraude, elles étaient lues avec passion et commentées par le bonnisseur avec sa logique ordinaire. Les esprits étant surexcités, on ne pouvait plus dormir : il fallait recommencer les aventures du grand Colas avec la fille du Rajah, leurs amours travesties par le ratichon, et finalement le triomphe du grand Colas, qui devenu rajah ouvre toutes les geôles comme des volières et fait pendre le ratichon, puis on en revenait encore à l’affaire Brodard.