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LA MISÈRE

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Au nom du comte de Méria, Fleur d’or ne fit pas un mouvement : elle leva sur lui son regard impassible, mais ses joues s’empourprèrent d’une lueur fugitive, c’était la première fois que son visage glacé rougissait depuis qu’on la connaissait. suivant quelques-uns, Fleur d’or devait avoir été déjà morte, telle était la légende qu’on ne croyait pas, mais qui était un encore charme de plus. On se mit à table, les cocodès de tout plumage se battaient les flancs pour faire de l’esprit, ne parvenant qu’à mettre leur bêtise en relief ; de Méria, cherchait des mots pour en faire quelques phrases, — depuis qu’il avait été fou il avait beaucoup de peine à exprimer une idée quelconque. Ce triste personnage se sentit renaître à des désirs de plaisirs à la vue de Fleur d’or, elle lui rappelait vaguement quelqu’un. J’ai déjà vu, belle dame, disait-il, une personne ayant cette charmante couleur de cheveux. Et comme les monomanes, il répétait sa dernière phrase lentement, et à plusieurs reprises : charmante couleur de cheveux charmante couleur de cheveux ! Ah ! dit Fleur d’or avec insouciance. – Et moi, dit Félix, je ne l’ai jamais vue ! Si cependant : c’était sur une fresque, dans une maison de charité aujourd’hui fermée. La maison de protection des jeunes filles pauvres, dit un autre, je l’ai vue également : c’était une vierge qui fuyait, les cheveux dénoués devant un tas de saints de mauvaise mine, dont un ressemblait vaguement à monsieur de Méria. Il est impie ce Noriac ! L’autre se rengorgeait, tandis que de Méria poussait un gémissement. Mon cher, je ne vous amènerai plus, dit la Faille, vous êtes sinistre. De Méria se tut comme un enfant. Fleur d’or le considérait avec une attention que les convives prirent pour un caprice de la belle fille. Les femmes ! murmuraient-ils de cet air dégagé qu’ils affectent en parlant du beau sexe, comme ils disent. Vous ne buvez pas, messieurs, dit Fleur d’or qui avait soin de laisser son verre plein ; elle le leva en disant : A la santé des joyeux compagnons ! Et des belles ! dit galamment Félix. Tous les verres se levèrent. Je crois, messieurs, dit Fleur-d’or, que de nos jours on ne sait pas boire. « Ce n’est plus le temps de Henri IV << Dont le triple talent « Est de boire et de battre << Et d’être un vert galant. La plupart des gommeux qui écrivaillaient pour se donner un genre, dans les journaux réactionnaires, piqués de la plaisanterie, la prirent pour un défi. A la santé de Fleur d’or, dit l’un d’eux, versant une bouteille entière dans un bol énorme et l’élevant en l’air. Ce fut une vraie folie ! les autres demandèrent des bols, et chacun luttant