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Ganville, 10 avril 1917.

Pâques nous a ramenés à Ganville. Je n’y étais pas revenue depuis que mon fils est aux armées. Chaque fois que je passe devant sa chambre vide, je revois notre séjour de 1914, où nous étions tous deux seuls ici, où je l’ai sauvé de cette atroce typhoïde acharnée à me le prendre, où j’ai appris la déclaration de guerre à son chevet de convalescent. Penser que j’ai pu l’arracher à la stupidité de la nature, et que je n’ai pas le droit de le disputer à la stupidité des hommes !…

J’ai revu Mme Mitry, la femme de notre fermier. Son fils unique est au front depuis un an. De tous ceux du village qui servaient dans l’infanterie, il est le seul qui vive encore. Cela semble à sa mère une sorte de miracle quotidien… Qui la comprendrait, qui la plaindrait mieux que moi ?

Elle vit, comme moi, de lettre en lettre. Depuis une semaine, elle n’en a pas reçu. Peut-être, par une de ces cruelles mesures dont on invoque en haut lieu la nécessité, a-t-on sus-