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LES « HAUTS FOURNEAUX »

ardents… Par l’effet de ce contrôle mutuel, une censure verbale s’est établie, plus oppressante et plus trompeuse encore que la censure écrite. Obligé de n’avoir qu’un langage, on feint de n’avoir qu’une pensée. On tait les autres. Et ce n’est pas le moindre crime de la guerre, que d’avoir institué l’hypocrisie.

Andernos, 18 octobre 1914.

Ce matin, en sortant d’un hôpital de Bordeaux, je m’étais égarée. Je pris une rue calme, silencieuse, bordée de petites façades proprettes, aux nuances vives et fleuries. J’étais intriguée. Mais des rideaux se soulevèrent. Derrière chaque vitre, un visage de femme apparut, plus enluminé que sa maison. J’avais compris. J’allongeais l’allure quand, à deux pas, je vis sortir d’un de ces logis d’amour la haute, mince et stricte silhouette de mon vieil ami Paron.

J’ai toujours plaisir à retrouver Paron. C’est un témoin de ma prime jeunesse. Je crois bien que la grande différence d’âge entre nous, sa défiance de soi, son état jadis modeste, l’ont détourné de me demander en