Page:Michelet - Œuvres complètes Vico.djvu/156

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quelques changements légers que la mode peut demander… Gardons-nous de nous y tromper, ces méthodes modernes, cet emploi continuel du sorite, qui, dans la géométrie, sont les vrais moyens de démonstration, deviennent vicieux, insidieux même, lorsque les choses ne comportent point de démonstration. C’est le reproche que l’on faisait aux stoïciens qui se servaient de cette arme dans la dispute. Tout ce qu’on nous présente en physique comme des vérités démontrées géométriquement n’est que simple vraisemblance. C’est bien la méthode de la géométrie, mais non plus la même force de démonstration ! En géométrie nous démontrons, parce que nous créons. Pour pouvoir démontrer en physique, il faudrait pouvoir créer. C’est en Dieu seul que se trouvent les véritables formes des choses auxquelles se rapporte leur nature. De plus, cette méthode qui nous habitue à passer d’une idée à celle qui en est la plus voisine, sans laisser d’intermédiaire, rend incapable de saisir des rapprochements entre des choses très éloignées et très différentes.

Quant à l’analyse algébrique, il faut avouer que, grâce à ses applications, et aux énigmes de la géométrie, nos modernes sont devenus autant d’Œdipes. Mais n’oublions pas que la facilité énerve l’esprit, que la difficulté l’aiguise. La géométrie n’arrête l’esprit que pour lui donner plus de force et de vivacité lorsqu’il redescend à la pratique. L’analyse, au contraire, semblable à la sibylle dans laquelle un dieu agit et parle comme à son insu, fait son calcul, et attend si l’équation qu’elle cherche se trouvera obtenue[1]. Si l’analyse

  1. Rousseau dit en parlant de l’application de l’algèbre à la géométrie : « Je n’aimais point cette manière d’opérer sans voir ce qu’on fait ; et il me