Page:Michelet - Œuvres complètes Vico.djvu/391

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(axiome 39). Observent-ils les effets étonnants de l’aimant mis en contact avec le fer : ils ne manquent pas, même dans ce siècle de lumières, de décider que l’aimant a pour le fer une sympathie mystérieuse, et ils font ainsi de toute la nature un vaste corps animé, qui a ses sentiments et ses passions. Mais, à une époque si avancée de la civilisation, les esprits, même du vulgaire, sont trop détachés des sens, trop spiritualisés par les nombreuses abstractions de nos langues, par l’art de l’écriture, par l’habitude du calcul, pour que nous puissions nous former cette image prodigieuse de la nature passionnée ; nous disons bien ce mot de la bouche, mais nous n’avons rien dans l’es-

    templa cœli, pour exprimer la région du ciel désignée par les augures pour prendre les auspices, et par dérivation, templum signifia tout lieu découvert où la vue ne rencontre point d’obstacle (neptunia templa, la mer, dans Virgile). — Les anciens Germains, selon Tacite, adoraient leurs dieux dans les lieux sacrés qu’il appelle lucos et nemora, ce qui indique sans doute des clairières dans l’épaisseur des bois. L’Église eut beaucoup de peine à leur faire abandonner cet usage (Voy. Concilia Stranctense et Bracharense, dans le recueil de Bouchard). On en trouve encore aujourd’hui des traces chez les Lapons et chez les Livoniens. Les Perses disaient simplement le Sublime pour désigner Dieu. Leurs temples n’étaient que des collines découvertes où l’on montait de deux côtés par d’immenses escaliers ; c’est dans la hauteur de ces collines qu’ils faisaient consister leur magnificence. Tous les peuples placent la beauté des temples dans leur élévation prodigieuse. Le point le plus élevé s’appelait, selon Pausanias, aetos, l’aigle, l’oiseau des auspices, celui dont le vol est le plus élevé. De là peut être pinnæ templorum, pinnæ murorum et en dernier lieu, aquilæ pour les créneaux. Les Hébreux adoraient dans le tabernacle le Très-Haut qui est au-dessus des cieux ; et partout où le peuple de Dieu étendait ses conquêtes, Moïse ordonnait que l’on brûlât les bois sacrés, sanctuaires de l’idolâtrie. — Chez les chrétiens mêmes, plusieurs nations disent le ciel pour Dieu. Les Français et les Italiens disent fasse le ciel, j’espère dans les secours du ciel ; il en est de même en espagnol. Les Français disent bleu pour le ciel, dans une espèce de serment par bleu, et dans ce blasphème impie morbleu (c’est-à-dire meure le ciel, en prenant ce mot dans le sens de Dieu). Nous venons de donner un essai du vocabulaire dont on a parlé dans les axiomes 13 et 22. (Vico.)