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COMME JADIS…

— Méfiez-vous, il y a de l’eau…

Tout le temps que durera notre travail, il me préviendra ainsi, m’avertissant de ceci, de cela, du poids d’une branche, d’un rosier griffu, d’une souche sournoisement cachée. J’ai cru longtemps à la manie. Cependant j’ai constaté la même habitude parmi les deux familles françaises du village. Nous, Canadiens, nous courons nos chances… Les avertissements de Mourier enlèvent de la monotonie au travail : on entend autre chose que les « ahan ! » de l’effort, le coup de la hache grinçant dans le bois vert, la racine cédant avec une plainte étouffée par la terre.

Mourier s’est d’abord attaqué aux touffes de saules, à celles que le feu en passant les années précédentes avait arrêtées dans leur développement. De sa large main calleuse, habituée à travailler sans gants, il ramassait en faisceau les branches, les renversait, et de quelques coups de la hache tranchante, au manche fin et robuste, les coupait au ras du sol. Les racines à demi carbonisées, restant en terre, sauteront à la charrue. Certes, il faudra tenir ferme les mancherons alors que nos braves chevaux donneront toute leur force égale et puissante. Quel plaisir de sentir, dans une vibration qui gagne le poignet et monte jusqu’à l’épaule, le fer argenté arriver à la souche, la traverser sans à-coup, l’abandonner au déversoir qui la rejette parmi la terre noire : non pas noire, cette