Page:Michelet - Comme jadis, 1925.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
179
COMME JADIS…

terre, mais teintée de brun-orangé-veiné de rose, et combien odorante !

Surtout n’allez pas croire, mon cousin que le défrichement soit un jeu ! S’il est des souches que l’on peut laisser en terre, il en est d’autres tordues, noueuses, aux longues racines contre lesquelles l’homme doit se battre, les muscles tendus, la hache haute, sans cesse abattue dans un bref soupir qui seconde l’effort. Nos pionniers d’Alberta, s’attaquant aux saules, aux trembles, aux bouleaux, aux liards, ne peuvent être comparés aux lutteurs des forêts du Bas-Canada ; néanmoins « la terre qu’ils font » est bien fille de leurs sueurs. Le carré, s’agrandissant d’année en année autour des bâtiments, m’inspire toujours une admiration voisine du respect.

Mon vieux Français dégageait le champ, cet après-midi, des branches de saules coupées, des troncs de quelques jeunes trembles morts, tués par le feu, et qu’il suffisait d’ébranler de la main pour les arracher avec leurs racines. Mon travail consistait à tirer ce bois, à l’empiler à quelques verges de là, sur le chaume du champ, au-dessus d’une grosse poignée de foin sec que l’on enflammerait, dès que le tas serait suffisant pour constituer un foyer… Faire brûler ! Il me semble que si je m’en allais loin, très loin, au cœur des villes ou au sein des campagnes civilisées depuis des siècles, il me suffirait de répéter ces quatre syllabes pour re-