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COMME JADIS…

Henriette affirma qu’on avait répondu, mais la voix semblait plus lointaine qu’au premier cri, vers l’Est.

Je me tournai vers l’Est. Le malheureux, s’il s’engage à travers le Grand brûlé, il est perdu, quoi que nous puissions faire pour lui porter secours. « All…o… »

Cette fois, Mourier et sa femme sont certains qu’on a répondu. Nous faisons des signaux avec le falot. Je profite des accalmies pour lancer des appels et diriger ainsi les pas qui viennent vers nous. Henriette a jeté sur les épaules de son mari, sur les miennes, nos capots de fourrure. Nous enfonçons nos casques. Le froid est intense. Nous avons fermé la porte derrière nous, Mourier a peine à respirer et je ne peux me résoudre à lui permettre d’aller au-devant du malheureux égaré. Si une syncope allait le prendre au milieu de cet océan blanc en furie ? Les rafales battent mes jupes, bourdonnent à mes oreilles. Je sens mes sourcils et mes cils se givrer. Le froid commence à exercer sur ma volonté son action déprimante. Renfoncée dans l’angle de la porte, j’ai horreur du mouvement. Une étrange impression de bien-être me pénètre. Les squelettes des arbres dansent en ombres fuyantes sur la neige ; cela m’hallucine. Mourier fait des suppositions sur notre naufragé. Pour lui, c’est un homme à pied, il n’entend aucun bruit de grelots. Moi, je perçois des sons de cloches et — je n’ose le