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COMME JADIS…

lui dire — il me semble voir des sleighs légers accourir sur leurs glissières cambrées, égratignant à peine le duvet palpitant de la neige. Ils passent légers, rapides, semblables à de grands cygnes, et, pas un ne s’arrête à mon appel. « All…o… All…o… »

— N’appelez plus : le voici…

Je secoue la rêverie qui m’endormait peu à peu. Dans le champ lumineux du falot, un homme s’avance ou plutôt se traîne, sa haute taille courbée pour résister au vent. On ne distingue rien de son visage enfoui dans les profondeurs d’un casque de mouton de perse abaissé sur les oreilles, et d’un col de pelisse remonté jusqu’aux yeux. Il est épuisé. Ses mâchoires sont contractées par le froid ; il ne répond pas aux mots d’accueil que je lui dis en anglais, comme il est d’usage au Nord-Ouest avec les étrangers. Mourier l’aide à entrer. La bouilloire chante sur le poêle. Notre grosse lampe, munie d’un verre nouveau, rayonne comme un immense œil d’or.

Casque, moustache, col de la pelisse, cheveux, tout tenait ensemble, par des glaçons que la chaleur eut tôt fait de faire fondre. Lorsque le visage de l’étranger apparut, Mourier poussa une exclamation à laquelle répondit un juron tout québecquois.

— Par exemple, M. Valiquette ! Comment avez-vous pu vous mettre en route par un temps pareil ?

— Il faisait beau… un peu froid quand je suis