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COMME JADIS…

tous les souvenirs de votre passé d’amour, s’agripper à votre cœur, et j’ai l’étrange impression qu’ils m’appellent à l’aide…

Hier, je revenais du bureau de poste où j’avais trouvé votre lettre. Je ne voulais pas l’ouvrir avant d’être rentrée chez moi. J’activai mes cayeuses. Le chemin d’hiver traverse la cour de plusieurs fermes. Je répondais d’un signe de tête distrait aux enfants qui écrasaient leurs frimousses contre la vitre des fenêtres. C’était l’heure du soir qui ramène brusquement la nuit dans nos contrées sans crépuscule. L’ombre s’étendait sous les branches des épinettes et escaladait les cimes encore éclairées par un dernier rayon de soleil couchant. Un hululement partit d’une branche et un autre lui répondit, lointain, et d’autres et d’autres encore ; on eût dit que l’épinettière n’était habitée que par des chouettes et des grands ducs. Un vol ouaté et lent, d’oiseau de nuit mal éveillé, traversa le chemin étroit, effleurant presque les oreilles des chevaux. Le vent fit grincer des corps d’arbres morts, et se plaindre des arbres vivants. Puis, ce fut un silence où frissonna un peu d’angoisse. J’avais laissé les guides tomber sur mes genoux ; mon « team » s’était mis de lui-même au pas. Je ne savais rien de votre lettre et pourtant je pressentais l’émotion qu’elle devait m’apporter. Au-dessus de ma tête, dans le sens de la route, un chemin clair et bleu s’étendait. Enfant, j’aimais la bande de ciel qui se dessine