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COMME JADIS…

deux tours jumelles, haut perché, m’apparut comme le port où il ferait bon rentrer, se mettre à l’abri. Et cependant Noulaine, n’était-ce pas le réel décor du drame — j’allais écrire de la comédie — qui a ravagé ma vie !

Certes, à Noulaine, je ne retrouvai pas la plénitude du moi vibrant dont je m’énivrais aux heures passées ; quelque chose est mort en moi qui ne ressuscitera jamais. J’ai vécu des semaines dans le demi-anéantissement bienheureux, caractéristique de certaines maladies. Je ne m’intéressais pas encore à la vie rurale dont la solide poésie m’était familière. Cependant ramassé sur moi-même, je n’opposais aucune résistance à la détente qui s’opérait lentement. C’était déjà miracle.

Le goût de mes pinceaux me revint. Un jour, je voulus savoir ce que la tourmente avait pu emporter de ma force d’expression. Je décidai de m’attaquer au morceau difficile devant lequel j’avais plus d’une fois reculé : fixer sur la toile le paysage de plaine qui s’étend en face de Noulaine, sur le bord opposé de la vallée de la Juine.

Le plateau, vu d’ici, porté par les lignes harmonieuses qui ondulent doucement d’Ormoy vers Dhuillet, n’a pas la morne austérité de la plaine. Las d’avoir plané, il semble se reposer et les arbres de la route de Pithiviers, comme de grosses épingles à tête de verre, le fixent au sol, par précaution. Ces lignes aériennes, combien de fois ne