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COMME JADIS…

tique, et c’est par le regard surtout que s’accentue la ressemblance. Et puis, petite amie, ce que vous ne me faites pas remarquer, ce qui amusa mon attendrissement, c’est la mouche coquette que l’estampe et le portrait signalent au-dessus de la lèvre. Par cela, vous êtes encore du XVIIIe siècle, et tout à fait Herminie !


Je n’ai pas encore réintégré Noulaine. Maignan me tient et ne semble pas vouloir me lâcher. J’accepte sa tyrannie joyeusement. Vous m’avez conduit, vous et lui, vers des quartiers de Nantes que j’ignorais. J’ai vu des gens à la physionomie haineuse et chez qui un mot, moins encore, un geste, amenait un sourire. Ce sourire, c’était comme une joie neuve qui me communiquait une candeur inconnue. Je crains de jouir en dilettante de cette poésie grossière, nouvelle pour mon raffinement. « Tu viendras à l’amour, m’assure Maignan. » Je secoue la tête. Sais-je où je vais ? Parfois une épouvante me prend au contact de ces misères que je n’aborde pas toujours sans un frémissement de tous mes nerfs. Je veux m’évader. Il me semble qu’une force tendre et douce, émanée de quelque puissance invisible, me fixe au spectacle de la vie trop longtemps ignoré et découvert soudain. J’hésite entre les enthousiasmes nés sous la parole chaude de mon ami, et le dégoût de la lutte impossible contre la marée montante des