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Page:Michelet - Comme jadis, 1925.djvu/27

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COMME JADIS…

agricoles, on a fait miroiter ses « opportunités » ; ce qu’on ne dira jamais assez c’est la vaillance, la fermeté dans la confiance dont durent faire preuve les premiers occupants. Et la majorité de ceux-là fut de race française : missionnaires presque exclusivement français et canadiens-français, pionniers, défricheurs de forêts et de prairies.

Mon père vécut de cette rude vie ; elle ne l’aurait pas abattu avant cinquante ans si la mort d’une épouse chérie n’avait miné sa robuste constitution. Bien souvent, enfant, j’ai senti qu’il se mourait d’une blessure intérieure, et qu’il mettait sa fierté d’homme à la cacher à tous, à la dérober même à moi, sa seule amie. Je fus un de ces petits êtres dont la venue au monde apporte une somme de douleurs : ma mère mourut deux jours après ma naissance. Et c’est pour cela que je n’imagine jamais sans frémir le drame qui se répète encore de nos jours dans de lointains settlements ; une jeune mère à l’agonie, un bébé vagissant ; pour tout secours, quelquefois, l’aide d’une vieille métisse et, alentour, des milles et des milles de bois ouatés de neiges…

Si j’évoque mes plus lointains souvenirs, ils font surgir la silhouette haute et pliée de mon père, son visage jeune et grave, presque dur lorsqu’il se penchait sur moi pour découvrir une ressemblance qu’il ne trouvait pas, sans doute, puisqu’il me ren-