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COMME JADIS…

Nanine jubilait, chantait des cantiques du matin au soir. Enfin, on ne vivrait plus comme des sauvages ! On aurait la messe le dimanche et un prêtre pour mourir. Avec l’église, la place deviendrait une vraie place avec un « store », un bureau de poste. Nanine pourrait aller faire elle-même ses commissions au « store », c’est-à-dire au magasin. Qu’est-ce que quinze milles, trente milles, aller et retour, pour de bons cayuses tels que les nôtres ! Et elle lavait, frottait le plancher, les portes, nos meubles grossiers, faits de bois mal raboté. Le plus souvent, mon père et moi fuyions ce grand nettoyage, recommencé chaque jour dans l’espoir de la visite du Père. La main dans la main, nous partions sans but déterminé. N’échangeant que de rares paroles, nous nous enfoncions au cœur de ce qui était toujours la même solitude et que nous disputaient, seuls, les lapins qui n’avaient pas encore revêtu leur livrée blanche d’hiver, les coyotes maigres et fauves, les pichous agiles et les perdrix familières. Un jour nous nous apprêtions à sortir quand, tout à coup, les chiens se ruèrent vers la clôture qui séparait la cour du chemin. Un cavalier apparut, siffla les chiens, leur parla en français, ainsi qu’on est accoutumé de le faire dans le Nord. Déjà mon père se précipitait pour accueillir notre visiteur. D’une main rapide, Nanine m’avait saisie et toutes les deux, agenouillées sur le seuil, nous reçûmes la bénédiction du Père Chassaing.