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COMME JADIS…

des choses qui existaient comme mon père, comme Nanine ou moi, comme notre maison ou le lac… Puis, venait la leçon de lecture. Je faisais des progrès assez lents, non que j’eusse la tête dure, mais il arrivait fréquemment que le livre restait ouvert et que, les yeux levés vers ceux de mon père, je faisais, par une question quelconque, dévier la leçon de lecture vers une leçon de choses. Ah ! je sens bien maintenant quel éducateur d’instinct il était. Le lien de notre affection se faisait plus étroit dans l’intimité de ce premier hiver passé ensemble ; il vivait penché sur mon âme, il en surveillait pieusement l’éclosion. Les doux souvenirs de cet hiver, où je découvris à la fois sa tendresse et son intelligence !…

Nous sortions rarement, mais quand les vents chinoocks avaient soufflé pendant deux ou trois jours, tassant la neige, adoucissant la température, il n’était pas rare que le P. Chassaing vînt nous faire une visite. C’était la grande joie, la belle journée claire qui brillait toute une semaine, dans notre souvenir. Le Père m’interrogeait, sur le catéchisme. Il me taquinait à propos de mon costume et de mes cheveux de garçon. Ces railleries m’importaient peu pourvu que, la conversation se détournant de ma petite personne, on m’oubliât tout à coup dans mon coin. Assise sur la chaise basse, les coudes appuyés sur mes genoux qui pointaient sous l’étoffe épaisse de ma jupe tissée et