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COMME JADIS…

cousue par Nanine, je suivais, sans bien comprendre, la discussion. La voix du Père s’animait plus facilement que celle de papa ; elle montait chaude, colorée, pour redescendre aussitôt, persuasive. La plupart des mots m’étaient inconnus ; tous me plaisaient. Mon imagination leur donnait une forme empruntée à mon champ étroit d’observation : les uns étaient de beaux nuages nacrés, les autres avaient le mystère de l’épinettière sombre ; il y en avait de petits, rapides, vifs, pétillant comme une mouche à feu, et d’autres qui avaient la noblesse du geste du P. Chassaing traçant une croix sur mon front. Alors, remontaient du fond de ma mémoire des phrases que mon père m’avait dites, comme celle-ci que je croyais enfin comprendre : « Notre langue est la plus belle des langues, nous devons la conserver comme un trésor… »

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Non, ce n’est pas pour « le monsieur de Paris » que j’écris ces pages. Je peux m’attacher à des détails puérils, n’avancer à ne rien dire, me laisser agripper par les souvenirs menus de ces années heureuses et lointaines…

Des jours s’ajoutaient aux jours, formant des mois, des saisons. Plus jamais mon père ne reprit le trail pour « faire la traite » avec les sauvages du Nord. Sous l’influence du cher Père Chassaing, l’inoubliée douleur se détendit, se fit moins farouche. Notre chantier à demi creusé en terre, cou-