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COMME JADIS…

vert d’écorces de bouleau, notre étable à trois murs, accotée à la butte, prirent forme de ferme parce que s’agrandissait un peu plus, chaque année, la clairière dont l’habitation était le centre. Nous n’étions plus des squaters en marge de la civilisation : nous « faisions de la terre », nous devenions des colons. La neige disparue au printemps et la terre dégelée ayant absorbé l’humidité, nous allumions les grands bûchers d’arbres abattus, et c’était, pour des soirs et des soirs, un spectacle, fantastique dont je ne me lassais pas. Souvent, le feu partant du bûcher courait enflammer les broussailles des sous-bois. C’était une fantasmagorie de lumières et d’ombres luttant, se poursuivant, grimpant comme un éclair aux arbres. Les feux de printemps n’étaient pas dangereux ; les arbres morts flambaient comme une torche, mais ceux où la sève montait mettaient un frein à l’incendie et, à travers la fumée, ce n’étaient que de courtes langues de flamme s’amincissant jusqu’à extinction. Par contre, les feux d’automne étaient terrifiants à cause de la sécheresse, des foins de sloughs épais et secs ; ils pouvaient durer des semaines. L’imprudence des colons, commençant à s’établir nombreux au Sud et à l’Est, nous faisaient courir de grands dangers. La ceinture de feu était parfois si proche, que nous passions la nuit à veiller. Nous étions défendus par de larges cernages autour de la cour. Le lac était une suprême res-