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HISTOIRE DE FRANCE.

des sacrifices ; parce que c’était la coutume des paysans gaulois de promener à travers les campagnes, par une déplorable folie, les images des démons couvertes de voiles blancs[1]. Il élève donc le signe de la croix, et commande à la troupe de s’arrêter et de déposer son fardeau. Ô prodige ! vous eussiez vu les misérables demeurer d’abord roides comme la pierre. Puis, comme ils s’efforçaient pour avancer, ne pouvant faire un pas, ils tournaient ridiculement sur eux-mêmes ; enfin, accablés par le poids du cadavre, ils déposent leur fardeau, et se regardent les uns les autres, consternés et se demandant à eux-mêmes ce qui leur arrivait. Mais le saint homme, s’étant aperçu que ce cortège s’était réuni pour des funérailles et non pour un sacrifice, éleva de nouveau la main et leur permit de s’en aller et d’enlever le corps.

« Comme il avait détruit dans un village un temple très-antique, et qu’il voulait couper un pin qui en était voisin, les prêtres du lieu et le reste des païens s’y opposèrent… « Si tu as, dirent-ils, quelque confiance en ton Dieu, nous couperons nous-même cet arbre, reçois-le dans sa chute, et si ton Seigneur est comme tu le dis avec toi, tu en réchapperas… » Comme donc le pin penchait tellement d’un côté qu’on ne pouvait douter à quel endroit il tomberait, on y amena le saint, garrotté… Déjà le pin commençait à chanceler et à menacer ruine ; les moines regardaient de loin et pâlissaient. Mais Martin, intrépide, lorsque l’arbre avait déjà craqué, au moment où il tombait et se précipitait sur lui, lui oppose le signe de salut. L’arbre se releva comme si un vent impétueux le repoussait, et alla tomber de l’autre côté, si bien qu’il faillit écraser la foule qui s’était crue à l’abri de tout péril.

« Comme il voulait renverser un temple rempli de toutes les superstitions païennes, dans le village de Leprosum (le Loroux), une multitude de gentils s’y opposa, et le repoussa avec outrage. Il se retira donc dans le voisinage, et là, pendant trois jours, sous le cilice et la cendre, toujours jeûnant et priant, il supplia le Seigneur que, puisque la main d’un homme ne pouvait renverser ce temple, la vertu divine vînt le détruire. Alors deux anges

  1. Dans Grégoire de Tours (ap. Scr. fr. II, 467), saint Simplicius voit de loin promener par la campagne, sur un char traîné par des bœufs, une statue de Cybèle. La Cybèle germanique, Ertha, était traînée de même. Tacit. German.