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ÉCLAIRCISSEMENTS.

s’offrirent à lui, avec la lance et le bouclier, comme des soldats de la milice céleste ; ils se disent envoyés de Dieu pour dissiper les paysans ameutés, défendre Martin, et empêcher personne de s’opposer à la destruction du temple. Il revient, et, à la vue des paysans immobiles, il réduit en poussière les autels et les idoles… Presque tous crurent en Jésus-Christ.

« Plusieurs évêques s’étaient réunis de divers endroits auprès de l’empereur Maxime, homme d’un caractère violent. Martin, souvent invité à sa table, s’abstint d’y aller, disant qu’il ne pouvait être le convive de celui qui avait dépouillé deux empereurs, l’un de son trône, l’autre de sa vie. Cédant enfin aux raisons que donna Maxime ou à ses instances réitérées, il se rendit à son invitation. Au milieu du festin, selon la coutume, un esclave présenta la coupe à l’empereur. Celui-ci la fit offrir au saint évêque, afin de se procurer le bonheur de la recevoir de sa main. Mais Martin, lorsqu’il eut bu, passa la coupe à son prêtre, persuadé sans doute que personne ne méritait davantage de boire après lui. Cette préférence excita tellement l’admiration de l’empereur et des convives, qu’ils virent avec plaisir cette action même, par laquelle le saint paraissait les dédaigner. Martin prédit longtemps avant à Maxime que, s’il allait en Italie, selon son désir, pour y faire la guerre à Valentinien, il serait vainqueur dans la première rencontre, mais que bientôt il périrait. C’est en effet ce que nous avons vu.

« On sait aussi qu’il reçut très-souvent la visite des anges, qui venaient converser devant lui. Il avait le diable si fréquemment sous les yeux, qu’il le voyait sous toutes les formes. Comme celui-ci était convaincu qu’il ne pouvait lui échapper, il l’accablait souvent d’injures, ne pouvant réussir à l’embarrasser dans ses pièges. Un jour, tenant à la main une corne de bœuf ensanglantée, il se précipita avec fracas vers sa cellule, et lui montrant son bras dégouttant de sang et se glorifiant d’un crime qu’il venait de commettre : « Martin, dit-il, où est donc ta vertu ? Je viens de tuer un des tiens. » Le saint homme réunit ses frères, leur raconte ce que le diable lui a appris, leur ordonne de chercher dans toutes les cellules afin de découvrir la victime. On vint lui dire qu’il ne manquait personne parmi les moines, mais qu’un malheureux mercenaire, qu’on avait chargé de voiturer du bois, était gisant auprès de la forêt. Il envoie à sa rencontre. On trouve non loin du monastère ce paysan à demi-mort. Bientôt après il avait cessé