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MONDE GERMANIQUE.

génie de la personnalité libre, de l’orgueil effréné du moi, n’est-il pas éminent dans la philosophie celtique, dans Pélage, Abailard et Descartes, tandis que le mysticisme et l’idéalisme ont fait le caractère presque invariable de la philosophie et de la théologie allemandes[1] ?

Du jour où, selon la belle formule germanique, le wargus a jeté la poussière sur tous ses parents, et lancé l’herbe par-dessus son épaule, où, s’appuyant sur son bâton, il a sauté la petite enceinte de son champ, alors, qu’il laisse aller la plume au vent[2], qu’il délibère comme Attila, s’il attaquera l’empire d’Orient, ou celui d’Occident[3] : à lui l’espoir, à lui le monde !

  1. Priscus.
  2. J’ai parlé dans un autre ouvrage de la profonde impersonnalité du génie germanique et j’y reviendrai ailleurs. Ce caractère est souvent déguisé par la force sanguine, qui est très-remarquable dans la jeunesse allemande ; tant que dure cette ivresse de sang, il y a beaucoup d’élan et de fougue. L’impersonnalité est toutefois le caractère fondamental (V. mon Introduction à l’Histoire universelle). C’est ce qui a été admirablement saisi par la sculpture antique, témoin les bustes colossaux des captifs Daces, qui sont dans le Bracchio Nuovo du Vatican et les statues polychromes qu’on voit dans le vestibule de notre Musée. Les Daces du Vatican, dans leurs proportions énormes, avec leur forêt de cheveux incultes, ne donnent point du tout l’idée de la férocité barbare, mais plutôt celle d’une grande force brute, celle du bœuf et de l’éléphant, avec quelque chose de singulièrement indécis et vague. Ils voient, sans avoir l’air de regarder, à peu près comme la statue du Nil dans la même salle du Vatican, et la charmante Seine de Vietti, qui est au Musée de Lyon. Cette indécision du regard m’a souvent frappé dans les hommes les plus éminents de l’Allemagne.
  3. V. les formules d’initiation du compagnonnage allemand dans mon Introduction à l’Histoire universelle.