Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/100

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chine. Si elle est un peu plus nord, elle pousse au fond du golfe, va écraser Saint-Jean-de-Luz. Et, si elle est plus ouest, elle refoule la Gironde ; elle coiffe d’horribles lames l’infortuné Cordouan.

On ne connaît pas assez ce respectable personnage, ce martyr des mers. Il est, entre tous les phares, je crois, l’aîné de l’Europe. Un seul peut disputer avec lui d’antiquité, la célèbre Lanterne de Gênes. Mais la différence est grande. Celle-ci, qui couronne un fort, assise bien tranquillement sur un bon et ferme roc, peut sourire de tous les orages. Cordouan est sur un écueil que l’eau ne quitte jamais. L’audace, en vérité, fut grande de bâtir dans le flot même, que dis-je ? dans le flot violent, dans le combat éternel d’un tel fleuve et d’une telle mer.

Il en reçoit à chaque instant ou de tranchants coups de fouet, ou de lourds soufflets qui tonnent sur lui comme ferait le canon. C’est un assaut éternel. Il n’est pas jusqu’à la Gironde, qui, poussée par le vent de terre, par les torrents des Pyrénées ne vienne aussi par moments battre ce portier du passage, comme s’il était responsable des obstacles que lui oppose l’Océan qui est au-delà.

Il est cependant lui seul la lumière de cette mer. Celui qui manque Cordouan, poussé par le vent du Nord, a à craindre ; il pourra manquer encore