Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/101

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Arcachon. Cette mer, la plus terrible, est aussi la mer ténébreuse. La nuit, nul signe qui guide, nul point de repère.

Pendant six mois de séjour que nous fîmes sur cette plage, notre contemplation ordinaire, je dirai presque notre société habituelle, était Cordouan. Nous sentîmes combien cette position de gardien des mers, de veilleur constant du détroit, en faisait une personne. Debout sur le vaste horizon du couchant, il apparaissait sous cent aspects variés. Parfois, dans une zone de gloire, il triomphait sous le soleil ; parfois, pâle et indistinct, il flottait dans le brouillard et ne disait rien de bon. Au soir, quand il allumait brusquement sa rouge lumière et lançait son regard de feu, il semblait un inspecteur zélé qui surveillait les eaux, pénétré et inquiet de sa responsabilité. Quoi qu’il arrivât de la mer, toujours on s’en prenait à lui. En éclairant la tempête, il en préservait souvent, et on la lui attribuait. C’est ainsi que l’ignorance traite trop souvent le génie, l’accusant des maux qu’il révèle. Nous-mêmes, nous n’étions pas justes. S’il tardait à s’allumer, s’il venait du mauvais temps, nous l’accusions, nous le grondions. « Ah ! Cordouan, Cordouan, ne sauras-tu donc, blanc fantôme, nous amener que des orages ? »