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la mer vue du rivage

Grande tristesse de voir tous les soirs le soleil, cette joie du monde et ce père de toute vie, sombrer, s’abîmer dans les flots. C’est le deuil quotidien du monde, et spécialement de l’Ouest. Nous avons beau voir chaque jour ce spectacle, il a sur nous même puissance, même effet de mélancolie.

Si l’on plonge dans la mer à une certaine profondeur, on perd bientôt la lumière ; on entre dans un crépuscule où persiste une seule couleur, un rouge sinistre ; puis cela même disparaît et la nuit complète se fait, c’est l’obscurité absolue, sauf peut-être des accidents de phosphorescence effrayante. La masse, immense d’étendue, énorme de profondeur, qui couvre la plus grande partie du globe, semble un monde de ténèbres. Voilà surtout ce qui saisit, intimida les premiers hommes. On supposait que la vie cesse partout où manque la lumière, et qu’excepté les premières couches, toute l’épaisseur insondable, le fond (si l’abîme a un fond), était une noire solitude, rien que sable aride et cailloux, sauf des ossements et des débris, tant de biens perdus que l’élément avare prend toujours et ne rend jamais, les cachant jalousement au trésor profond des naufrages.

L’eau de mer ne nous rassure aucunement par