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la mer vue du rivage

la transparence. Ce n’est point l’engageante nymphe des sources, des limpides fontaines. Celle-ci est opaque et lourde ; elle frappe fort. Qui s’y hasarde, se sent fortement soulevé. Elle aide, il est vrai, le nageur, mais elle le maîtrise ; il se sent comme un faible enfant, bercé d’une puissante main, qui peut aussi bien le briser.

La barque une fois déliée, qui sait où un vent subit, un courant irrésistible, pourront la porter ? Ainsi nos pêcheurs du Nord, malgré eux, trouvèrent l’Amérique polaire et rapportèrent la terreur du funèbre Groënland. Toute nation a ses récits, ses contes sur la mer. Homère, les Mille et une Nuits, nous ont gardé un bon nombre de ces traditions effrayantes, les écueils et les tempêtes, les calmes non moins meurtriers où l’on meurt de soif au milieu des eaux, les mangeurs d’hommes, les monstres, le léviathan, le kraken et le grand serpent de mer, etc. Le nom qu’on donne au désert, « le pays de la peur, », on aurait pu le donner au grand désert maritime. Les plus hardis navigateurs, Phéniciens et Carthaginois, les Arabes conquérants qui voulaient englober le monde, attirés par les récits du pays de l’or et des Hespérides, dépassent la Méditerranée, se lancent sur la grande mer, mais s’y arrêtent bientôt. La ligne sombre, éternellement couverte de nuages, qu’on rencon-