Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/264

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à cette terre, de gravir le rocher où sa femme, ses enfants l’appellent, où il leur porte le poisson. Son gibier à la bouche, n’ayant pas les défenses dont le morse s’aidait pour gravir, il y met les quatre membres du haut, du bas, s’accrochant au varech, distendant, divisant chacun d’eux selon son pouvoir, de sorte qu’à la longue ramifié, il montre cinq doigts.

Ce qui est très beau dans le phoque, ce qui émeut dès qu’on voit sa ronde tête, c’est la capacité du cerveau. Nul être, sauf l’homme, ne l’a développé à ce point (Boitard). L’impression est forte, et bien plus que celle du singe, dont la grimace nous est antipathique. Je me souviendrai toujours des phoques du Jardin d’Amsterdam, charmant musée, si riche, si bien organisé, et l’un des beaux lieux de la terre. C’était le 12 juillet, après une pluie d’orage ; l’air était lourd ; deux phoques cherchaient le frais au fond de l’eau, nageaient et bondissaient. Quand ils se reposèrent, ils regardèrent le voyageur, intelligents et sympathiques, posèrent sur moi leurs doux yeux de velours. Le regard était un peu triste. Il leur manquait, il me manquait aussi la langue intermédiaire. On ne peut pas en détacher les yeux. On regrette, entre l’âme et l’âme, d’avoir cette éternelle barrière.

La terre est leur patrie de cœur : ils y naissent,