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plages, grèves et falaises

est toujours solitaire, sable équivoque dont la fausse douceur est le piége le plus dangereux. C’est et ce n’est pas la terre, c’est et ce n’est pas la mer, l’eau douce non plus, quoiqu’en dessous des ruisseaux travaillent le sol incessamment. Rarement, et pour de courts moments, un bateau s’y hasarderait. Et, si l’on passe quand l’eau se retire, on risque d’être englouti. J’en puis parler, je l’ai été presque moi-même. Une voiture fort légère, dans laquelle j’étais, disparut en deux minutes avec le cheval ; par miracle, j’échappai. Mais, moi-même à pied, j’enfonçais. À chaque pas, je sentais un affreux clapotement, comme un appel de l’abîme qui me demandait doucement, m’invitait et m’attirait, et me prenait par dessous. J’arrivai pourtant au roc, à la gigantesque abbaye, cloître, forteresse et prison, d’une sublimité atroce, vraiment digne du paysage. Ce n’est pas ici le lieu de décrire un tel monument. Sur un gros bloc de granit, il se dresse, monte et monte encore indéfiniment, comme une babel d’un titanique entassement, roc sur roc, siècle sur siècle, mais toujours cachot sur cachot. Au plus bas, l’in pace des moines ; plus haut, la cage de fer qu’y fit Louis XI ; plus haut, celle de Louis XIV ; plus haut, la prison d’aujourd’hui. Tout cela dans un tourbillon, un vent, un trouble éternel. C’est le sépulcre moins la paix.