Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/335

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apôtres de l’Angleterre gagnent de l’argent et point d’âmes, elle s’écoule misérablement dévorée de nos vices, de nos maladies.

La longue côte de Sibérie avait naguère des habitants. Sous ce climat si dur, des nomades vivaient, chassant les animaux à fourrures précieuses, qui les nourrissaient, les couvraient. La police russe, insensée, les a forcés de se fixer et de se faire agriculteurs, là où la culture est impossible. Donc, ils meurent, et plus d’hommes. D’autre part, le commerce, insatiable et imprévoyant, n’épargnant pas la bête à ses saisons d’amour, l’a également exterminée. Solitude, aujourd’hui, parfaite solitude, sur une côte de mille lieues de long. Que le vent siffle, que la mer gèle. Que l’aurore boréale transfigure la longue nuit. La nature aujourd’hui n’a plus de témoin qu’elle-même.

Le premier soin, dans les voyages arctiques du Groënland, aurait dû être de former à tout prix une bonne amitié avec les Esquimaux, d’adoucir leurs misères, d’adopter leurs enfants, et d’en élever en Europe, de faire au milieu d’eux des colonies, des écoles de découvreurs. On voit dans John Ross, et partout, qu’ils sont intelligents et très vite acceptent les arts de l’Europe. Des mariages se seraient faits entre leurs filles et nos marins : une po-