Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/113

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suis russe ou autrichien, " quand il peut dire : " je suis du pays de Bera et de Bembinski ! "

Et cette conviction de supériorité n’est pas seulement dans l’âme des classes élevées. Elle passe tous les jours dans celle des paysans. Le dernier des Polonais, enchaîné, traîné pour devenir soldat de la Russie, éreinté de coups, épuisé de faim, lorsqu’il tombe sur sa route et se relève piqué par la lance du Cosaque, sent qu’il est martyr de la cause polonaise : il s’honore, se juge l’égal de tous ceux qui souffrent pour elle. À l’armée, s’il y arrive, il se trouve côte à côte des plus grands et des plus nobles de son pays, qu’on fait servir comme soldats et qu’on met au premier rang, au feu des tireurs du Caucase. Ainsi se forme entre Polonais, par le bienfait de la Russie, un lien très fort que peut-être ils n’auraient jamais eu sans elle, ce qu’on pourrait appeler la fraternité de la douleur et l’égalité du martyre.

La nationalité polonaise, languissante à d’autres époques, est devenue, grâce à Dieu, prodigieusement forte et vivace. On a pu le voir récemment dans le duché de Posen. En Gallicie même, le paysan qui, corrompu par l’Allemand, a tué son maître polonais, ne veut nullement être Allemand, et se fâcherait si on lui en donnait le nom.

Si la Russie eût eu l’intention de raviver et fortifier la nationalité polonaise, elle aurait fait précisément ce qu’elle a fait pour la détruire. Avec de bons traitements,