Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/114

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les provinces lithuaniennes, plus anciennement réunies, se seraient peut-être, à la longue, ralliées à leurs nouveaux maîtres. Mais la Russie semble avoir pris soin de leur enfoncer au cœur, pour n’en être arrachés jamais, le sentiment et le regret de la Pologne. Par l’énormité de l’impôt, par les logements de soldats, par l’atrocité du recrutement et du service militaire, elle a si bien fait, qu’on n’y parle jamais du bon temps de la République que les larmes aux yeux. Tout village, chaque année, en deuil et dans le désespoir, voit enlever ses enfants qui disparaissent à jamais. Le vice-roi lui-même, Paskiewitz, en faisant partir le contingent annuel qu’il doit pour une de ses terres, disait dernièrement : " vous voyez bien ces cent hommes qu’on va mener à l’armée ; tous périront dans le Caucase ; ce sera beaucoup s’il en revient un.

L’unité de la Pologne s’est fortifiée de deux manières. Identiques de situation, de douleur et de regrets, les deux moitiés du royaume (Pologne et Lithuanie) le sont encore par ce fond commun de traditions militaires, de nobles et glorieux souvenirs, de fraternité héroïque, que leur a donnée l’histoire des derniers temps. Le nœud s’est resserré entre elles, et elles vivent d’un même cœur.

La Pologne, au reste, fut toujours, quoi qu’on ait dit, un État homogène, naturel, très légitimement construit, à peu près comme la France. En l’une comme en l’autre (comme en tout corps bien organisé), la dualité, harmonique