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Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/160

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- DE LA RUSSIE. 145

Livrant le serf à vos agents, qui le réduisent au désespoir, il vous a fallu appeler au secours contre ses révoltes la police impériale, solliciter son extension dans tout l’empire, faire venir dans chaque village l'homme pâle et malveillant qui menace le paysan et qui dénonce le maître. Jadis, très-dépendants sans doute dans vos rapports avec le czar, vous aviez du moins ce bonheur que ces rapports étaient rares ; maîtres chez vous, des que l’hiver rompait les communications, la tyrannie cessait pour vous. Huit mois par an, vous étiez rois. À l’automne, vous fermiez la porte, et nul ne venait vous troubler. Maintenant, partout sur vos terres, vous rencontrez l’homme sinistre, l’œil trouble et louche, par où le czar vous voit de Saint-Pétersbourg.

Un de mes amis, se trouvait dans un palais russe, au centre de la Russie, loin des routes, assistait à un grand dîner que la dame de la maison donnait à la nombreuse noblesse du voisinage. La salle du banquet avait vue sur un grand parc, dont la principale allée aboutissait en face de la croisée du milieu et de la place que la dame occupait à table. Tout à coup elle se tait, devient immobile, ses yeux se fixent… puis voilà qu’elle pâlit ; elle est livide, tremblante… Ses dents claquent… Elle est près de s’évanouir. Un personnage militaire entre dans la salle ; c’était le général de la gendarmerie impériale qu’elle avait vu dans l’allée. Elle se croyait perdue. Il la rassure heureuse-