Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/23

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la croisade, et les paysans, y trouvant le bon cœur et le bon sens, le dévouement du pauvre peuple, ont ressenti qu’il était leur, qu’il fut la Pologne elle-même.

Le jour où cet homme de foi, menant ses bandes novices contre l’armée russe, aguerrie, victorieuse, laissa là toutes les routines et l’orgueil antique, laissa la noble cavalerie, mit pied à terre et prit rang parmi les faucheurs polonais, ce jour-là une grande chose fut faite pour la Pologne et pour le monde. La Pologne n’était jusque-là qu’une noblesse héroïque ; dès lors ce fut une nation, une grande nation, et indestructible. L’impérissable étincelle de la vitalité nationale, enfouie si longtemps, éclata ; elle rentra au cœur du peuple, et elle y reste avec le souvenir de Kosciusko.

Dévoué, résigné et simple, il ne sut, dit-on, que mourir ; mais, en cela même encore, il fit une grande chose : il éveilla un sentiment inconnu au cœur des russes. Barbares, pour la Pologne même, ils commencèrent à se troubler quand ils la virent blessée, taillée en pièces sur le champ de bataille, dans la personne de Kosciusko. L’être défiant entre tous, le paysan russe et le soldat russe, qu’on écrase mais qu’on n’émeut pas, fut sans défense contre l’impression morale de cette grande victime ; il se sentit injuste… On vit de vrais miracles : les pierres pleurèrent, et les glaces du pôle, les cosaques, pleurèrent, se souvenant trop tard, hélas ! de leur origine polonaise. Leur chef Platow,