Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/32

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néant moral, elle a marché tout au rebours dut monde, reculé dans la barbarie.

Elle subit dans ce moment une opération atroce, que nul martyre de peuple ne présente dans l’histoire : nous l’expliquerons tout à l’heure. Du servage, elle retourne à l’esclavage antique.

L’esprit russe, faussé par la torture d’une inquisition vile et basse (qui n’a pas, comme celle d’Espagne, l’excuse au moins d’un dogme), l’esprit russe descend dans la dégradation, dans l’asphyxie morale. Il était doux, croyant, docile. Il croit de moins en moins ; sa loi était dans l’idée de famille, dans la paternité. Cette idée lui échappe.

Phénomène terrible pour le monde, mais surtout pour la Russie elle-même. L’idée russe a faibli en elle, et elle n’a pas pris l’idée de l’Europe ; elle a perdu son rêve, qui était une autorité paternelle, et elle ignore la loi, cette mère des nations.

Que serait-ce si elle n’avait encore, pour la tirer de ce néant où elle descend, une sœur qui comprend les deux autorités (la paternité et la loi) ; cette sœur, l’aînée des slaves, dans laquelle est leur vie la plus intense ; cette sœur dont le génie a grandi, s’est approfondi sous la verge de la providence et dans l’épreuve du destin ?

Sans elle, sans cette infortunée Pologne qu’on croit morte, la Russie n’aurait aucune chance de résurrection.

Elle pourrait troubler l’Europe, l’ensanglanter encore,