Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/36

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marchent, piqués par le Cosaque, pour servir l’ennemi de la Pologne dans le Caucase, en Sibérie, jusqu’aux frontières de Chine. Il en meurt la moitié en route ; on en prend d’autres, toujours d’autres, qui ne reviennent jamais. La Pologne n’enfante que pour soûler le Minotaure.

Quel a été, en réalité, le péché de la Pologne ? cet esprit romanesque, cet esprit de grandeur (fausse ou vraie) qui a fait des héros, mais qui convenait moins aux citoyens d’une république. Chaque homme était un roi et tenait cour, les portes ouvertes à tous, les tables toujours mises ; on priait l’étranger d’entrer, on le comblait de dons. Et ce n’était pas seulement orgueil et faste, c’était aussi une aimable facilité de cœur, une bonté naturelle qui les jetait dans cet excès de libéralité. Tout objet que vous regardiez, que vous paraissiez trouver agréable dans la maison de votre hôte, on vous disait : " il est à vous. "

Et il aurait paru bas, ignoble, antipolonais, qu’il en fût autrement. Cela était tellement établi dans les mœurs, qu’on disait aux enfants, lorsqu’on les menait en visite ". Prends bien garde de ne pas nommer, de ne louer aucun objet que tu verras. Ce serait indiscret, le maître le donnerait à l’instant. "

Cette libéralité prodigue et la fausse grandeur, la fastueuse vie du chevalier qui vit de gloire et jette l’or, elles eurent un double effet, et très fatal. D’abord, ils regardèrent au-dessous d’eux de s’occuper de leurs