Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/74

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Jamais amour ne fut moins aveugle ni mieux mérité. Ce n’était point un mérite possible, futur, qu’elle aimait ; c’était déjà un homme accompli. À trente ans, il était dans la plénitude de ses dons et de ses vertus. Il apparut à Sosnowska ce qu’il était en effet, un héros.

Il n’avait pu rien faire encore, et l’apparence physique n’était point en sa faveur. À en juger par les portraits, il avait le menton saillant, ainsi que les pommettes des. joues. Le nez, fortement retroussé, donnait à sa figure quelque chose, non de vulgaire, comme il arrive, mais d’étrange plutôt, de bizarre et de romanesque, d’audacieux, d’aventureux. Nez, menton, bouche, sourcils, tout semblait pointer en avant, comme l’élan du cavalier qui charge ; mais en même temps les plans très fermes, très arrêtés, très fins, rappelaient la précision de l’artilleur qui ne charge point au hasard, mais qui vise et atteint le but.

Ses yeux étaient très vifs, hardis et doux. Là, surtout, on entrevoyait l’excellence du cœur de ce. grand homme de guerre. Les anciens héros de la Pologne étaient des saints. Les Turcs, qui ont éprouvé tant de fois l’esprit guerrier de cette race, n’en avaient pas moins remarqué son extrême douceur, sa tendance à tous les amours. Ils appelaient les Slaves les colombes. Cette disposition à aimer éclatait dans toute la personne de Kosciusko. Nul homme n’a tant aimé la femme, et de la plus pure tendresse. Il aimait singulièrement les enfants, qui tous venaient à lui. Surtout