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Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/257

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MON JOURNAL.


au péril des mauvaises rencontres. La pauvre Marianne leur a dû sa fin tragique. En réalité, la liberté de la femme, sa force dans la faiblesse, n’existent pas en dehors de l’amour exclusif et fidèle. Là, elle reprend tous ses avantages. Et c’est alors aussi que l’homme trouve en elle, avec le bonheur, sa véritable assiette et parfois sa fécondité.

Je lui racontai à l’appui de ma thèse, la scène touchante que j’avais surprise un soir en passant devant la loge de notre concierge. Le mari travaille tout le jour au dehors. Elle, garde la loge, surveille le va-et-vient des locataires, répond aux questions des survenants, soigne le ménage et l’enfant encore trop jeune pour aller à l’école. Ce soir-là donc, le mari me précédait de quelques pas. La nuit tombait. Il entre dans la loge éclairée par un beau feu de cheminée, et jette avec sa casquette ce mot bref : « Me voilà ! » C’est tout son salut : ni mollesse, ni sensiblerie, et pourtant, que de choses tendres pour les siens, dans «es deux mots : « Me voilà ! » Cela voulait dire : « Enfin je vous retrouve, vous, et ma maison ! » Cet homme, évidemment, a connu la tristesse des repas solitaires, ces repas, — j’en sais quelque chose, — où le miel même garderait une saveur amère. On sentait sa joie que ce temps fût passé pour ne plus revenir. L’enfant s’était emparé de