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Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/273

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MON JOURNAL.


âme se révèle dans son élévation morale et son exquise sensibilité. La voici :

« C’était le temps où je commençais à m’intéresser aux études anatomiques. J’étais parvenu à vaincre la répugnance que l’odeur cadavérique fait éprouver à tout être vivant. Mais je n’avais pu encore dominer le frisson d’horreur qui me glaçait toutes les fois que j’étais appelé à plonger le fer dans un corps encore organisé, tout semblable au mien. Il me semblait toujours commettre un meurtre.

« Un matin de décembre, je m’étais rendu, comme à mon ordinaire, à l’hôpital de la Charité où je faisais mon premier stage. Il faisait froid et noir. La cour était encore déserte. J’entre dans l’amphithéâtre, je m’approche de la table de marbre où était le cadavre tout prêt pour la leçon d’anatomie. C’était une femme. Elle pouvait avoir vingt-cinq ans. Le visage était noble et pur. De longs cheveux châtains, épars autour d’elle, balayaient les dalles. Je fus blessé de voir ces membres délicats ainsi exposés sans protection et sans voiles, sur ce marbre glacé. Personne, ni mère, ni sœur, ne l’avait donc assistée, personne n’était venu réclamer ses pauvres restes ?..... Une folle jeunesse allait s’en emparer pour en faire brutalement un amas de chairs informes. Mais par