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Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/323

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MON JOURNAL.

ELLE. — Il me semble que le plus grand bonheur sur la terre, ce serait d’aimer toujours, non pas doucement, à son aise, mais comme tous les hommes aiment en commençant.

MOI. — D’accord ; mais pour cela, il ne faudrait qu’une chose, être parfait comme Dieu… Ce ne serait pas assez ; il faudrait encore aimer un objet parfait.

ELLE. — Mais quel que soit l’objet, ne le voit-on pas parfait quand on aime ?

MOI. — Oui, d’abord ; mais à mesure, on fait des découvertes ; et puis, quand cette perfection serait réelle, l’être imparfait qui la contemplerait, se lasserait peut-être à la longue.

ELLE. — Oh ! je ne suis donc pas comme les autres ! je me sens capable d’une passion qui ne se refroidirait jamais. Lorsque j’étais encore toute enfant, je laissais souvent jouer les autres, pour me mettre dans un petit coin et penser à quelqu’un, je ne savais qui, que j’aimerais toujours et d’un amour sans bornes. J’allais quelquefois jusqu’à pleurer. Et ce n’était pas précisément, un homme que je songeais à aimer ainsi. Non, je m’attendrissais sur tout ce qui m’entourait, les plantes, les animaux, le ciel, la terre, tout enfin !… »

6 octobre. — La rentrée des classes s’est faite.