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Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/61

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MON JOURNAL.


POINSOT A MICHELET.


Mercredi 24 (7 heures du soir).


Cher ami, que vais-je te dire après la lecture d’une lettre si touchante qui a réveillé aussi en moi mille sentiments confus que je ne puis exprimer ?

Je prévoyais bien que notre correspondance ne tarderait pas à devenir une correspondance d’amis, mais je croyais qu’elle commencerait par des choses étrangères à notre amitié et c’est pour cela que je t’ai écrit cette lettre lourde et insignifiante qui ressemble si peu à la tienne. Qui dirait, en les voyant toutes deux, qu’elles viennent d’amis dont la pensée a été si souvent la même ?

Ta lettre, au milieu de la joie qu’elle m’a fait goûter, m’a rendu triste un moment : « La vie est courte, dis-tu, la mienne, peut-être plus que celle des autres. » Non, je l’espère bien, elle ne sera pas plus courte que celle de quelqu’un que tu sais bien. Que ferais-je seul au monde, s’il fallait que je te perdisse ? Car si tu te trouves isolé au milieu des personnes qui t’entourent, je le suis bien autrement dans une nombreuse famille, dont