Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 1.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
90
HISTOIRE DE FRANCE

Les âmes tombèrent alors de découragement. Une inertie mortelle se répandit dans tout le corps social. Le peuple se coucha par terre de lassitude et de désespoir, comme la bête de somme se couche sous les coups, et refuse de se relever. En vain les empereurs essayèrent, par des offres d’immunités, d’exemptions, de rappeler le cultivateur sur son champ abandonné[1]. Rien n’y fit. Le désert s’étendit chaque jour. Au commencement du cinquième siècle, il y avait, dans l’heureuse Campanie, la meilleure province de tout l’Empire, cinq cent vingt-huit mille arpents en friche.

Tel fut l’effroi des empereurs à l’aspect de cette désolation, qu’ils essayèrent d’un moyen désespéré. Ils se hasardèrent à prononcer le mot de liberté. Gratien exhorta les provinces à former des assemblées, Honorius essaya d’organiser celles de la Gaule[2] : il engagea, pria, menaça, prononça des amendes contre ceux qui ne s’y rendraient pas. Tout fut inutile, rien ne réveilla le peuple engourdi sous la pesanteur de ses maux. Déjà il avait tourné ses regards d’un autre côté. Il ne s’inquiétait plus d’un empereur impuissant pour le bien comme pour le mal. Il n’implorait plus que la mort, tout au moins la mort sociale et l’invasion des barbares[3]. « Ils appellent l’ennemi, disent les auteurs du temps, ils ambitionnent la captivité… Nos frères qui se trouvent chez les barbares se gardent bien de revenir ; ils nous quitteraient plutôt pour aller les

  1. App. 27.
  2. App. 28.
  3. App. 29.