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DESTINÉE DE LA RACE CELTIQUE

pays, disait un vieillard en 1776, et ce sont de vieilles gens comme moi, de soixante à quatre-vingts ans ; tout ce qui est jeune n’en sait plus un mot[1]. »

Bizarre destinée du monde celtique ! De ses deux moitiés, l’une, quoiqu’elle soit la moins malheureuse, périt, s’efface, ou du moins perd sa langue, son costume et son caractère. Je parle des highlanders de l’Écosse et des populations de Galles, Cornouailles et Bretagne[2]. C’est l’élément sérieux et moral de la race. Il semble mourant de tristesse, et bientôt éteint. L’autre, plein d’une vie, d’une sève indomptable, multiplie et croît en dépit de tout. On entend bien que je parle de l’Irlande.

L’Irlande ! pauvre vieille aînée de la race celtique, si loin de la France, sa sœur, qui ne peut la défendre à travers les flots ! L’Île des Saints[3], l’émeraude des mers, la toute féconde Irlande, où les hommes poussent comme l’herbe, pour l’effroi de l’Angleterre, à qui chaque jour on vient dire : Ils sont encore un million de plus ! la patrie des poètes, des penseurs hardis, de Jean-l’Érigène, de Berkeley, de Toland, la patrie de Moore, la patrie d’O’Connell ! peuple de parole éclatante et d’épée rapide, qui conserve encore dans cette vieillesse du monde la puissance poétique. Les Anglais peuvent rire quand ils entendent, dans quelque obscure maison de leurs villes, la veuve irlandaise improviser le coronach sur le corps de son

  1. Mémoires de la Société des Antiquaires de Londres.
  2. App. 59.
  3. App. 60.